TEXTES BREFS RASSEMBLÉS EN MAI 2019

SOUFFLE COUPÉ

LA VÉRITÉ

L’HEURE DU CHIEN JUSTE/INJUSTE

ENFER VATICAN

AJAX ET SES BOEUFS

SUPERMAN REDEMPTOR

VENTRILOQUE

UPPERCUT

PLUS BELLE, PLUS LIBRE QUE MOI

DÉPOSITION DEVANT TÉMOINS

LA CIBLE

 

AVANT-PROPOS

LES MÂCHOIRES DU TEMPS, est un volume constitué de la réunion de

douze textes brefs écrits au fil des années sans souci a priori de les réunir. Je les rassemble ici, escomptant qu’à les rapprocher, leur parenté deviendra visible. Il me semble en effet que ces douze textes, bien que très éloignés parfois l’un de l’autre par leurs formes et leurs propos, évoquent la vulnérabilité des vies ordinaires face à la brutalité du monde ambiant. Une violence de contexte, qui va de la guerre à la violence individuelle en passant par la violence institutionnelle, annule, bouleverse, modifie l’existence d’hommes et de femmes jetés dans l’événement. Capturés par le mauvais destin ou le mauvais hasard, les êtres humains présentés ici se débattent comme poissons pris dans la nasse.

La plupart des textes trouvent leur point de départ dans le journal, dans l’information télévisée ou dans le récit qu’on m’a fait de tel ou tel événement. Ils concrétisent un besoin de réaction rapide face au réel, ils visent à réinscrire ce réel dans un dispositif théâtral de prise de parole. Face aux flux d’informations, la passivité me pèse. N’ayant pas la vocation de l’activiste, je m’en tiens à la réappropriation du réel par l’écriture. Une société vivante est faite d’une multiplicité de façons de parler le réel. Mais toutes les façons ne se valent pas. La réaction expressive telle qu’elle s’étale sur les réseaux sociaux s’apparente souvent à un intestin qui se lâche en toute impunité, sans souci de la distance qu’une mise en forme introduit toujours dans un sujet traité. Mes petites formes valent ce qu’elles valent ; du moins ambitionnent-elles de rendre aux événements et aux comportements relatés l’éloignement dont ils ont besoin pour sortir de l’anecdote.

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Soufflé coupé relate la mise à mort d’un soldat considéré comme déserteur parce que, parlant une autre langue que ses supérieurs, il n’arrive pas à expliquer son absence au combat. Le texte n’est pas explicitement situé, même s’il trouve son point de départ dans des événements qui se sont produits lors de la première guerre mondiale.

La vérité raconte qu’une chaîne de télévision est occupée à tourner la reconstitution d’une agression. Cette agression a des causes privées, elle implique deux hommes et une femme, elle résulte de la jalousie de l’agresseur. Mais la journaliste qui dirige le tournage juge la donnée trop banale, elle veut infléchir cette banalité vers quelque chose de plus significatif. Elle entend replacer l’incident au milieu d’une fête foraine, parce que c’est plus visuel que la cave où l’agression a réellement eu lieu. De plus, en terme d’audience, ce serait plus porteur de donner à cette agression un accent antisémite ou d’homophobe, comme on voudra, mais pas une simple agression, c’est trop peu médiatique, dit-elle.

L’heure du chien, un jeune sdf accompagné d’un chien se fait interpeller par un policier dans le métro. L’incident est vu par un stagiaire journaliste qui travaille pour un grand quotidien. La question du patron de presse est de savoir si ce fait divers vaut un gros titre et une première page ou pas. Pendant qu’il en débat avec son stagiaire, la femme du patron de presse essaie de dire à son mari qu’elle vient de tuer leur fils toxicomane. Mais l’homme tout à sa discussion n’entend pas ce que lui dit sa femme.

Juste/injuste s’attache à la figure de celui qui devient criminel par souci de justice. Le texte renvoie sans nommer personne à une affaire fortement médiatisée. La fille de André Bamberski a été assassinée. Le présumé coupable, un médecin allemand, est innocenté par la justice allemande, mais condamné par la justice française. Le père de la jeune fille commandite un enlèvement du médecin innocent en Allemagne pour l’amener coupable en France. La justice selon le père est ainsi rendue par le biais d’un acte illégal (L’enlèvement). La ligne générale de ces péripéties n’est pas sans rappeler la nouvelle de Kleist Michael Kohlhaas où un homme juste au départ devient un criminel notoire mettant à feu et à sang un territoire pour obtenir justice dans une affaire de chevaux qu’on lui avait volés.

Enfer Vatican est le texte où la visée documentaire est la plus évidente. La pédophilie au sein d l’église catholique y est exposée en une série de fragments mêlant à la fois l’univers familial et la responsabilité de la hiérarchie catholique, papauté incluse.

Dans Ajax et ses boeufs, quatre récitants (hommes et femmes) déroulent le récit de la sortie de prison d’un homme libéré après plus de vingt années de détention pour acte de terrorisme commis dans les années 80. Le terroriste reste fidèle à sa croyance révolutionnaire, mais l’évolution du monde vers l’insignifiance rend dérisoire sa fidélité.

Superman redemptor voit un homme assailli par un mythe. Le thème de l’homme providentiel y est abordé de façon ironique. Celui qui vous veut du bien vous veut aussi du mal.

Ventriloque, par le biais d’un personnage protéiforme, évoque l’assassinat d’un homme politique. Une forme de théâtre dans le théâtre est ici mise à contribution dans la mesure où le personnage (un employé de chez Mac Donald) assume différentes identités pour raconter l’événement.

Uppercut, ou 27 secondes avant le KO final est le récit d’un boxeur mis à mal par la vie. Le combat de boxe métaphorise la dureté de la vie. Le décompte des « secondes » aboutit au suicide du narrateur.

Plus belle, plus libre que moi présente une Ismène et une Antigone d’aujourd’hui qui traversent l’Europe. Parties de Grèce, elles vont de Oslo à Bruxelles en passant par Francfort, Zurich, Marseille et Edimbourg poussées par le besoin de retrouver un père, qu’à la suite d’un mensonge de leur mère, elles croyaient mort.

Déposition devant témoins raconte les circonstances d’un attentat au couteau. La victime est le stagiaire d’un grand quotidien qui s’est interposé entre l’arme du tueur et son patron. C’est ce dernier qui raconte l’histoire où la difficulté d’exister proprement dans le monde d’aujourd’hui prend une place considérable

Dans La cible, un grand fauve médiatique, victime collatérale de la violence policière, change de camp, trouve dans sa mutilation une raison de combattre. L’écho renvoyant à la brutalité policière déployée contre les gilets jaunes n’est pas fortuit.

Les mâchoires du temps

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